PAWEŁ KORAB KOWALSKI

   ET LE CORPS APPARAIT est quelque chose de plus que « body painting », c’est un projet à la fois photographique, pictural et une animation vidéo qui utilise le corps féminin pour support, chaque œuvre étant une incarnation de la peinture abstraite.

 

   Au début, la surface est plate, uniforme, couleur blanc de neige, une trace de contour détache à peine le modèle du fond, dévoilant le lieu de l’évènement à venir. Peu à peu, le corps surgit des profondeurs du blanc, à chaque touche du pinceau, il gagne en forme et renforce sa matérialité. La limite du corps est une limite de la représentation, la peinture ne dépasse pas le cadre du tableau mais, par ses divisions audacieuses, transgresse la forme imposée. 

 

   Le figuratif fusionne avec l’abstrait en un nœud dynamique qui renvoie au rituel magique. Le corps devient une cuirasse esthétique, un mannequin postmoderne, et le monde des récits mythologiques se transforme en un monde de la mode et du « lifestyle ». Geste purement surréaliste mais, étrangement, par sa répétition expressive, l’image atteint la précision d’une affiche minimaliste.     

  

   La peinture du corps dans les civilisations primitives a plusieurs fonctions et une symbolique liée aux rites de passage, à la protection, à l’érotisme, aux pouvoirs thérapeutiques… L’artiste s’en sert en y portant un regard nouveau et en y ajoutant un aspect moderne. 

 

   L’artiste ne prétend pas à être philosophe et, contrairement aux tendances artistiques actuelles, il ne remplace pas la représentation par un discours. Il ne cherche pas non plus à être artisan, il ne cache plus son savoir-faire. Tout au contraire, il expose les coulisses de son travail, présente son atelier, ses outils et déconstruit l’univers qu’il venait d’appeler à la vie. « Et le corps apparaît… » est une mise en abyme de « l’acte de peindre » – pensée autant originale que paradoxale – impliquée non pas dans le langage mais dans la corporalité. 

 

   Chaque touche est documentée par une photo, et chacune d’elles peut être la seule et unique, si seulement c’est elle qui capte le moment exact de l’accomplissement. Chaque œuvre est une série des centaines de photos qui, montées image par image, constituent un film animé stop-motion. C’est le répertoire de chacune des incarnations artistiques, l’enregistrement des milliers de décisions qui mènent à un idéal désiré.

 

   C’est une excellente base pour analyser le processus même de la création, certes, mais aussi pour le retourner, pour abolir son caractère irréversible et reprendre à la touche finale sa capacité de conclure. Il est connu que l’art consiste à choisir une valeur parmi les milliers de possibilités. « Et le corps apparaît… » est un tel choix qui désire mettre en lumière toutes les options rejetées et donner ainsi une forme réelle à ce qui est abstrait. 

 

 

PIOTR SEWERYN ROSÓŁ